Ils ont fait confiance au bitcoin, à l’ethereum et aux autres cryptomonnaies à la mode, en investissant des centaines, voire des milliers d’euros. Ces boursicoteurs d’un genre nouveau n’avaient pas d’expérience en finance. Ils ont parfois perdu gros.
Pull ample, look décontracté, cheveux longs et lectures anticapitalistes, Jean n’a pas vraiment le profil-type du trader à la Patrick Bateman dans American Psycho. Et pourtant, dès 2016, le jeune homme de 24 ans s’intéresse à la nouvelle tendance financière : le bitcoin. Le Montpelliérain vient alors de rater son bac et traverse une période difficile. Il s’enferme sur lui-même et passe un temps considérable à traîner sur des forums spécialisés. Jean finit par en être convaincu : le bitcoin et autres cryptomonnaies sont le futur. Il faut investir, et vite.
Pas capitaliste pour un sou, il décide tout de même de placer plus d’une centaine d’euros dans la monnaie virtuelle, et une plus petite somme dans un de ses doppelgängers qui pullulent à l’époque. Le cours de la reine des cryptomonnaies est alors assez bas et il parvient à acquérir 0,120 bitcoins. « La crypto te donne une sensation de facilité : tu peux en acheter directement, tu n’as pas besoin d’être accrédité comme sur une place de marché traditionnelle », justifie-t-il. La dimension anti-système de cette monnaie virtuelle a également convaincu le jeune homme. « À l’époque, je la voyais comme partie intégrante d’une culture alternative ».
Mais son rêve de richesse ne va jamais advenir. Alerté par la médiatisation brutale des cryptomonnaies en 2017, Jean décide de se connecter à son compte pour récupérer le pactole, probablement plusieurs milliers d’euros. Seul hic, et de taille, il est incapable de se souvenir du mot de passe, une combinaison complexe de plusieurs dizaines de caractères. « Par sécurité, je l’avais noté sur un papier, et impossible de remettre la main dessus », se souvient-il, encore affecté.
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Une idéologie séduisante
Si le bitcoin séduit un public aussi large, c’est parce qu’il est facile d’en acquérir. « N’importe qui peut ouvrir un compte : de nombreuses plateformes sont établies à l’étranger et ne sont pas soumises à une législation lourde », confirme Charlie Perreau, journaliste aux Echos spécialisée dans les startups financières.
La force du bitcoin, c’est aussi son histoire et la mythologie qui l’entoure. Inventé à la fin des années 2000 par le mystérieux Satoshi Nakamoto, la monnaie virtuelle repose sur une technologie révolutionnaire : la blockchain. L’objectif revendiqué par son créateur déclaré : s’affranchir des banques grâce à une organisation décentralisée. « Le bitcoin a été créé en réponse à la crise de 2008 », raconte Charlie Perreau. « Les libertariens, les anticapitalistes et les anarchistes ont été parmi les premiers à être séduits par ce projet, qui visait à obtenir une certaine indépendance vis-à-vis des banques ».
Gabriel fait partie de ces nouveaux boursicoteurs. L’ingénieur d’une trentaine d’années, spécialiste de la data, bidouille des ordinateurs depuis son plus jeune âge. En 2011, il repère le bitcoin et sa première transaction sert à financer Wikileaks, le site d’investigation en ligne qui a fait trembler les services de renseignement américains. Il décide alors d’acquérir 4 bitcoins pour 120 euros, sans savoir encore qu’il vient de mettre la main sur un véritable filon.
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Le bitcoin : une prophétie auto-réalisatrice
Le 15 décembre 2017, le bitcoin explose la barrière symbolique des 10 000 euros. « Avec l’argent gagné, j’ai réservé un weekend en amoureux dans une suite à Barcelone », se remémore Gabriel.
Une ascension fulgurante qui peut s’expliquer par la confiance des acteurs, et l’intérêt des grandes banques pour la monnaie virtuelle. Charlie Perreau note un phénomène intéressant : le halving. « Tous les quatre ans, l’offre de monnaie mise en circulation est divisée de moitié, mais la demande est toujours la même : les prix augmentent donc », décrypte la journaliste. En 2021, le bitcoin a en effet connu une situation comparable.
« J’ai tout vendu d’un coup »
Mais le 21 janvier 2022, le monde de la cryptomonnaie s’affole : la valeur du bitcoin s’effondre et manque de peu de passer sous la barre des 30 000 euros. Une chute de près d’un quart de sa valeur en moins d’un mois.
Gabriel, inquiet, décide alors d’échanger à la hâte ses bitcoins contre des actions en bourse. « Si j’avais vendu un peu plus tôt, je pense que j’aurais pu multiplier par dix mes gains », commente celui qui a également perdu de l’argent avec une autre cryptomonnaie.
Même chose pour José, un musicien de 40 ans, qui souhaitait obtenir des rendements faciles en investissant dans le bitcoin. « Au moment du crash, j’ai arrêté, j’ai tout vendu d’un coup », relate-t-il, sans vouloir donner le montant de ses pertes.
Un geste insensé pour Charlie Perreau, qui traduit « un manque d’éducation financière ». « C’est l’inverse de ce qu’il faut faire : l’argent investi, c’est de l’argent que l’on doit être prêt à perdre. Ceux qui revendent maintenant n’y connaissent rien en finance ou ne croient peut-être pas trop en cette technologie », ajoute-t-elle.
Un constat partagé par Samantha Hadj, experte en désendettement et en finances personnelles : « Certains comportements dans le monde des cryptomonnaies sont similaires à des pulsions d’achat. Ces personnes ont été initiées par des amis, suivent des fils de discussions qui les rassurent, et foncent tête baissée sans comprendre le système ». Selon elle, un investisseur ne devrait jamais miser l’argent dont il aura besoin dans les cinq ans à venir, même si l’appât du gain le démange.
Se remettre en question
Si cette expérience de perte financière a été douloureuse, elle a aussi été l’occasion pour les boursicoteurs amateurs des cryptomonnaies de se remettre en question. Pour Gabriel, le cryptocrash a été un déclic. Bien qu’il soit passé à côté de gains considérables, il estime tout de même ses profits sur son investissement de départ à une dizaine de milliers d’euros.
Quant à Jean, il a définitivement pris ses distances avec ce monde. « J’ai pris sur moi, et je vois désormais cette technologie comme un mauvais film de science-fiction », blague le jeune homme.