Le CFCM, ou l’histoire d’une lente agonie

Alors que le Conseil français du culte musulman est en proie à des querelles de chapelle, plusieurs de ses membres ont, ces derniers mois, claqué la porte. Le gouvernement français veut nettoyer l’institution et repenser toute la gouvernance de l’islam. Récit d’un échec.

Longtemps, il a été l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics en France. Pendant vingt ans, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a été aux avant-postes sur les questions – controversées – du financement des lieux de culte musulmans, le halal, la formation des imams. Paralysé de l’intérieur et tiraillé par des intérêts contradictoires, il semble aujourd’hui à son crépuscule. C’est en tout cas ce que laisse entendre le gouvernement. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin n’a-t-il pas lui-même déclaré, le 20 décembre dernier, que cette organisation, placée sous l’égide de son ministère, avait «vécu» et n’était plus crédible ?

Dernier psychodrame en date, un imbroglio autour de la présidence de l’organisation. Alors que le mandat du président sortant, Mohammed Moussaoui arrivait à son terme en janvier 2022, son successeur annoncé, le recteur de la Grande mosquée de Paris, Chems Eddine Hafiz claque la porte et embarque avec lui quatre des huit fédérations qui composent le CFCM. Un président par intérim a donc du être nommé mais le sort du Conseil est incertain. Mohammed Moussaoui a lui-même reconnu, dans une tribune, que l’instance, n’était « plus viable » dans son format actuel. Une assemblée générale est planifiée le 19 février prochain. Le CFCM pourrait alors s’auto-dissoudre. Mais comment en est-on arrivé là ?

«Péché originel»

Remontons le temps. Il faut revenir vingt ans en arrière, lorsque le CFCM a été créé, pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné, estime auprès de Louze Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’islam de France. « Son péché originel, c’est l’interventionnisme de l’Etat français, au mépris des votes, dès la genèse de l’institution. Cela a fini par faire exploser l’institution », assure-t-il. À l’époque, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, souhaite régler la question de l’islam en France. Il décide en 2002 de créer une interface publique entre les pouvoirs publics et les représentants de la religion.

Pour cela, il organise en grande pompe le conclave de Nainville-les-Roches (Essonne) et désigne d’ores et déjà les membres du bureau exécutif, « sans même attendre les résultats du vote », soulève le sociologue spécialiste de la gouvernance du religieux dans les sociétés contemporaines au CNRS Franck Fregosi, joint par Louze. « C’est un système fondé sur la désignation, et non l’élection », dénonce aujourd’hui Ghaleb Bencheikh. La légitimité de l’instance en pâtit déjà.

Luttes fratricides

C’est le début d’un long désenchantement. « Chaque fédération qui compose le CFCM – elles sont huit au total – ainsi que l’Etat ont ensuite essayé de peser sur les instances, de prendre le contrôle du CFCM », déplore Franck Fregosi. Depuis une dizaine d’années, par souci démocratique, une présidence tournante, partagée entre les Algériens, les Turcs et les Marocains, a vu le jour. « Un fonctionnement tout aussi bizarre », pour Ghaleb Bencheikh, qui dénonce « les influences étrangères » au sein de l’islam français.

« Malheureusement, on accepte l’immixtion de pays étrangers au sein de l’islam français », qui aboutit à « de véritables luttes fratricides entre les Algériens, Marocains et Turcs pour asseoir leur vision de l’islam, explique Ghaleb Bencheikh. C’est ce qui a fini par miner le CFCM ». Et lui faire perdre toute crédibilité aux yeux du gouvernement français. Beaucoup ont le sentiment que le CFCM défend d’abord les intérêts de l’Etat français plutôt que ceux des musulmans.

C’est ce que ressent notamment Rosa, musulmane étudiante de vingt-cinq ans, qui dénonce le paternalisme de l’Etat français, « hérité de la période coloniale »« Cet organisme pose surtout la question du rapport qu’entretient l’État français à la religion musulmane”, qui est, selon elle, “maladroit”, pour ne pas dire “contre-productif ». Au contraire d’Aly Fares, un étudiant musulman de vingt-trois ans, qui estime que le CFCM était « le seul conseil à peu près crédible aux yeux des musulmans en France » – ils sont 5 à 6 millions en France. Et d’ajouter : « J’ai peur que la France s’éparpille avec des imams qui ne portent pas notre voix, ne nous ressemblent pas et demeurent à la solde de l’État. »

Dissoudre le CFCM, et après ?

Le gouvernement prépare déjà le Forum de l’Islam de France (Forif) qui se tiendra pour la première fois le 5 février prochain, et réunira les différents acteurs du culte dans le pays. Selon une note interne consultée par Le Monde, quatre groupes de travail préparent déjà le Forif avec comme axes de réflexion : la question des aumôneries (hospitalière, pénitentiaire et militaire), la sécurité des lieux de culte et la lutte contre les actes antimusulmans, le recrutement et la formation des imams et l’application de la loi confortant le respect des principes de la République (CRPR).

Pour Gérald Darmanin, mieux vaut bâtir une nouvelle organisation de l’Islam qui s’inspire du « modèle allemand ». Volonté affichée haut et fort : affaiblir l’influence d’États, comme le Maroc, l’Algérie ou la Turquie, sur les instances de représentation du culte musulman en France. Pour permettre in fine aux conseils départementaux du culte musulman d’élire leurs propres représentants. « C’est la base qui doit désormais décider », s’exclame Ghaleb Bencheikh. À condition de ne pas retomber dans les mêmes travers que le CFCM et que « l’islam demeure pris dans un système où l’Etat choisit avec qui il veut travailler, et non dans une réelle décentralisation », avertit le rationnel Franck Fregosi. Esprit colonialiste es-tu là ?

Estelle Aubin et Théo Sauvignet

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