À droite ou chez les écolos, les deux grandes primaires de l’automne ont occasionné des déceptions. Chez Xavier Bertrand, Éric Piolle ou Sandrine Rousseau, plusieurs petites mains ont sacrifié des pans entiers de leur vie pour faire élire leur champion. Ils nous racontent l’après-défaite.
Nous sommes le dimanche 19 septembre 2021, il est 17h37. Les résultats du premier tour de la primaire des écologistes tombent officiellement. C’est la douche froide chez Éric Piolle, qui arrive quatrième au coude-à-coude derrière Yannick Jadot, Sandrine Rousseau et Delphine Batho. « On a tous ressenti de la déception, raconte l’un des soutiens du maire de Grenoble. Énormément de déception. Et surtout, un sentiment d’incompréhension ». Neuf jours plus tard, Sandrine Rousseau est battue au second tour de la même primaire. Dans ses rangs, on accuse le coup. « Je me suis dit : ça y est, on a perdu, c’est comme ça. Il n’y a pas de négociation possible », témoigne Marcus*. Pour les équipes des candidats, l’échec électoral marque un coup d’arrêt à l’activité qui les a portés pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Avec des ressentis très différents selon le degré d’implication et leur motivation initiale.
Le 2 décembre, c’est à droite que le destin des candidats s’est joué. Ce jour-là, Xavier Bertrand est éliminé du Congrès LR alors qu’il avait, durant plusieurs mois, été désigné comme l’un des favoris de cette primaire. « Cette annonce m’a fait un vrai choc, témoigne un collaborateur du candidat. Je me suis dit instantanément : ‘Merde, ça fait chier’. Ce sont des termes un peu crus, mais qui représentent bien ma tristesse à ce moment-là ».
Et pour cause, pour lui et les équipes de campagne des candidats éliminés, c’est comme voir s’anéantir tous les efforts accumulés en une minute. « Participer à une campagne, c’est un engagement personnel. On ne fait que ça. On met de côté sa famille, ses amis, tout le monde en fait — poursuit ce collaborateur du candidat. Quand vous êtes en politique, vous vivez une campagne de l’intérieur : c’est votre vie quoi ».
Et malgré la défaite, il faut pouvoir rester opérationnel une fois les résultats tombés. « Le travail ne s’arrête pas à l’annonce des résultats, il faut répondre aux demandes de presse et gérer toute la communication après, — rappelle un collaborateur d’Éric Piolle. C’est très important puisqu’il y a le deuxième tour, et ensuite l’intronisation du candidat ou de la candidate choisie ».
Certains passent par une phase de déni
Est-ce vraiment une surprise à chaque fois, ou certains anticipent-ils une défaite de leur candidat ? La réponse varie selon les cas. « Dans l’équipe d’Éric, il y avait de l’espoir jusqu’à la fin. Jusqu’à l’annonce des résultats. Là, ça a été la surprise pour tout le monde. Il était quatrième alors qu’on présentait un duel Yannick Jadot/ Éric Piolle au niveau médiatique. Ça nous a déconcertés ». Du côté de l’équipe de Xavier Bertrand, c’était l’incertitude : « Pour moi, la campagne était bonne, mais là, il n’y avait aucun sondage. Franchement, c’était impossible à savoir », témoigne ce même soutien du candidat de droite. Une incertitude d’autant plus grande que l’ambiance d’une campagne n’incite pas à envisager l’échec. « Sur le moment, si on a des doutes, chacun le garde pour soi. On est concentré vers l’objectif. Et nos doutes, on ne les laisse pas transparaître », ajoute-t- il.
Marcus*, la vingtaine et membre de la campagne Sandrine Rousseau, anticipait davantage la défaite de sa candidate au second tour de la primaire écologiste. Très enthousiaste à l’approche du premier tour, il a vu tous les vents se tourner contre sa candidate avant le second tour, de quoi immiscer le doute dans l’équipe de campagne. « Moi, j’étais triste, évidemment, mais on s’y attendait — raconte-t-il. Et je n’étais pas étonné tant que ça. Le scénario de la défaite, on l’envisageait aussi, même si on n’avait pas envie d’y penser ».
Tout dépend donc de la manière dont les équipes envisagent un potentiel échec. « En politique, le mieux est d’intégrer le fait qu’on peut échouer, mais il y a des personnels politiques pour qui l’échec n’est pas une option », explique Denys Pouillard, politologue et directeur de l’Observatoire de la vie politique et parlementaire ». Et là alors, quand il y a un échec, soit on nie en minimisant, soit on tombe, et dans ce cas-là il faut un entourage solide », ajoute-t-il.
« Le lendemain d’une défaite, le téléphone ne sonne plus »
Tous les membres des équipes de campagne racontent ce même sentiment d’abattement, ce moment où tout retombe, celui du vide, du téléphone qui reste désespérément silencieux. « Le lendemain d’une défaite, le téléphone ne sonne plus, décrit Denys Pouillard. Vous n’êtes plus rien, on n’a plus besoin de vous. C’est très dur. Les personnels politiques en souffrent psychologiquement ». D’autant que comme l’explique un soutien d’Éric Piolle, une campagne, « on la vit à cent à l’heure, et tout s’arrête du jour au lendemain ».
« Pour moi, franchement, ça a été dur, pendant 48 heures, — se souvient un membre de l’équipe de campagne de Xavier Bertrand. Pendant quelques jours, on a juste envie de couper son téléphone. De toute façon, il s’arrête de sonner. C’est un téléphone thermostat : ça a sonné jusqu’au dernier jour, et à la minute même où ça s’est arrêté, paf. Plus rien. Il ne sonne plus ».
Dans cette période difficile, il faut pouvoir s’appuyer sur son entourage familial, souligne le politologue Denys Pouillard. « Il y a ceux qui acceptent et supportent cet arrêt, et d’autres qui ne le supportent pas. Et c’est à ce moment-là que doit intervenir la famille, ou des amis, ou des conseillers très proches. Car le soutien est la clé pour s’en remettre et digérer ce vide — précise-t-il. En tout cas, il ne faut pas attendre le dernier moment et la défaite électorale pour s’assurer de la solidité de son entourage ».
Une défaite synonyme d’échec ?
Pour certains, l’échec dans les urnes n’est pas synonyme de fin de parcours. En témoigne la « super soirée » de défaite au QG de Sandrine Rousseau après l’annonce des résultats. « Nous, on a fait la fête jusqu’à trois heures du matin, alors que l’équipe de Jadot, ils étaient à peine vingt-cinq et ils faisaient tous une tête de cent pieds de long ! », témoigne Elen Debost, un soutien de la première heure de sa campagne. Alors elle l’assure : s’il s’agit bien d’une défaite électorale, il ne s’agit en aucun cas d’un échec. En témoigne le retentissement médiatique de la candidate et de ses thèmes de campagne comme sur l’écoféminisme, selon la collaboratrice de Sandrine Rousseau.
Pour d’autres, l’échec est bien là et peut s’immiscer jusque dans le cadre privé. « Cette défaite a été très compliquée à gérer, surtout que c’était la première campagne où je m’investissais en tant que militant, par conviction d’abord, de façon professionnelle après, donc j’ai pris les choses très à cœur. Je l’ai vécu entre guillemets autant comme un échec personnel et professionnel », analyse ce collaborateur d’Éric Piolle.
Pour Marcus aussi cela a été une étape difficile. « Oui, c’est un échec puisqu’on s’est battu pour un projet, et il ne s’est pas imposé. On a eu plusieurs petites victoires, mais notre objectif principal, que Sandrine Rousseau gagne la campagne, n’a pas été atteint. Donc à ce niveau-là, oui, on a échoué ». Il nuance cependant la place de cet échec dans sa vie : « Pour moi, oui c’est un échec militant, parce qu’on était dans un cadre militant. Mais des échecs militants, on en a tout le temps. Et si on est effondré à chaque échec, on n’avance plus. Il faut voir tout ce qu’on a accompli et se dire que tout n’est pas perdu ». Le politologue Denys Pouillard l’affirme : « Il est tout à fait normal que pour certains membres d’équipes de campagne une défaite électorale soit qualifiée d’échec personnel, militant et professionnel. Simplement parce que quand on admet l’échec, on ne peut pas le compartimenter à une seule composante de sa vie ».
D’autres refusent de qualifier cette défaite d’échec. C’est le cas de ce membre de l’équipe de campagne de Xavier Bertrand : « Ça n’a pas du tout, mais pas du tout, été un échec personnel. C’est le jeu. Ça n’est pas contre moi, ça n’est pas contre Xavier. Chez moi, cette défaite n’a pas créé de remise en question. Si j’avais été candidat, je l’aurais peut-être vécu comme un échec. Mais ne l’ayant pas été, non ». Pourtant, quand on l’interroge sur son ressenti, ce soutien de Bertrand n’hésite pas à comparer cette défaite à une rupture amoureuse : « Je ne vais pas vous mentir, c’est un sentiment de rupture, comme si je m’étais fait quitter par une femme que j’aimais ».
Le politologue Denys Pouillard explique bien cette dualité : la vie personnelle et la politique sont intrinsèquement liées, mais pour certains il est très difficile de l’admettre. « Il y a ceux qui restent droits dans leur botte. L’échec a beau être visible par tous, eux ne l’admettront jamais pour de multiples raisons. Et souvent en politique, il est plus simple de nier un échec que de l’admettre pour ne pas s’imposer d’y réfléchir ensuite », explique-t-il.
« Vous êtes à un croisement de votre vie »
Une chose est sûre, pour beaucoup, la défaite dans les urnes de leur candidat a une grande incidence sur la tournure de leur vie. « Vous êtes à un croisement de votre vie quoi, explique un collaborateur de Xavier Bertrand. Moi, ma vie a pris un chemin parce que Xavier a perdu. S’il avait gagné, ma vie serait différente aujourd’hui. ».
Ne pas obtenir suffisamment de suffrages peut aussi renforcer un engagement militant. « L’échec ça ne donne pas envie de continuer, ça force à continuer », raconte Marcus, soutien de Sandrine Rousseau et également militant climat. » Chaque défaite rappelle qu’on n’a pas le choix, que ce n’est pas une option ou une envie. Un échec, ça démotive, mais on voit encore plus l’importance de repartir », affirme-t-il.
Penser l’après
Vient ensuite le temps de la réflexion. « Ça fait un très grand vide dans un premier temps, et puis vient la question : ‘qu’est ce qu’on fait après ?’ », témoigne un membre de l’équipe de campagne d’Éric Piolle. Une étape complexe. Le soutien de Sandrine Rousseau, Marcus raconte : « Penser l’après, c’est très compliqué parce qu’on a plein de doutes et d’incertitudes. Ça s’arrête brutalement, et on doit bifurquer, aller vers un autre projet, un autre candidat, ou un poste ».
Rejoindre le candidat vainqueur, c’est le choix qu’a fait ce collaborateur d’Éric Piolle qui a rejoint Yannick Jadot à l’issue de la primaire écologiste : « L’aventure s’est arrêtée pour Éric Piolle, pour sa campagne à lui, mais une autre commençait puisqu’on est une famille, celle des écologistes ». Même chose dans les rangs de Xavier Bertrand, où certains ont rejoint la candidate désignée par le congrès. « J’aime bien trop la politique et mon pays pour m’arrêter donc évidemment je suis reparti, témoigne un membre de campagne de Xavier Bertrand. « Tout de suite Xavier a dit, ‘on soutient Valérie’. Donc naturellement j’ai appelé des amis chez Valérie, je les ai félicités et je leur ai dit : ‘prenons un verre la semaine prochaine’. Nous, l’équipe, on travaille tous pour la campagne de Valérie maintenant. »
Se reclasser, une affaire complexe
Dans la réalité, les ralliements ne se font pas toujours de gaieté de cœur. « Je pense aux LR, mais le même problème se pose chez les écologistes. Les collaborateurs qui soutenaient Xavier Bertrand participent à l’équipe de Valérie Pécresse, mais ceux que j’ai rencontrés n’avaient pas l’air d’être très enthousiasmés. L’articulation d’un candidat à un autre est difficile », souligne Denys Pouillard.
Compréhensible donc que certains décident au contraire de ne pas suivre le candidat vainqueur d’une primaire, à l’instar de Marcus. À défaut d’une considération suffisante dans l’équipe de Yannick Jadot, il a renoncé à le suivre pour la suite. « Ils ne nous ont pas proposé de les rejoindre, donc la majorité d’entre nous ne l’a pas rejoint en bloc. Et moi je me suis dit que je n’allais pas m’engager auprès de Yannick, parce qu’il n’a pas jugé nécessaire de nous inclure dans sa campagne ». Elen Debost n’a pas non plus suivi le candidat investi par la primaire des écologistes. Elle a préféré rester auprès de Sandrine Rousseau en vue des législatives.
Plus largement, différentes stratégies existent pour les membres des équipes de campagne face à la défaite de leurs candidats. « Il y a ceux qui s’attendaient à l’échec et qui ont déjà pris leurs dispositions, détaille le politologue Denys Pouillard. Ils ont déjà prévu un poste notamment dans l’administratif ou auprès d’un autre candidat en cas de défaite ». Pour ceux venus du privé, la difficulté est plus grande à la sortie, ils restent associés à un candidat démis. « Et il y a aussi ceux qui pensaient au fond pouvoir rebondir, car ils ont un carnet d’adresses bien rempli, mais en fait ils tombent de haut. Plus personne ne leur accorde de crédit pour travailler avec eux », poursuit l’export. Se recaser, en politique ou en dehors, reste donc une affaire complexe.
*Le prénom a été modifié.