«Game over». Pendant longtemps, cette petite phrase était l’ennemie redoutée de tout joueur de jeux vidéo. Pourtant depuis quelques années, des jeux d’un nouveau genre font rimer échec avec progression.
Au téléphone, Sélim allume sa télévision et sa Playstation 4. Manette à la main, il fait défiler un menu dont les sons ponctuent le silence concentré du joueur. « 180 heures de jeu sur Dark Souls 3, finit-il par annoncer, 50 heures sur Dark Souls 2 et 208 heures sur BloodBorne ». En amoureux du jeu vidéo, l’Agenais de 28 ans égrène ses heures passées sur ces jeux d’un genre particulier qu’il pratique depuis deux ans : les die and retry. Littéralement, « mourir et recommencer ». Des jeux connus pour leur difficulté et leur exigence prononcées, la moindre erreur pouvant s’avérer fatale.
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« Vous êtes mort »
Ces échecs à répétition sont le principe même de ces jeux. « Tu perds, mais à chaque mort tu apprends quelque chose », raconte, enjoué, Nicolas, 20 ans, et joueur de la série Dark Souls depuis 2 ans. « Tu as appris un pattern [déplacement d’un ennemi, ndlr], tu ajustes ta connaissance », ajoute-t-il. L’animation de défaite du jeu est bien connue. L’écran s’assombrit, devient noir et blanc, et un sobre « Vous êtes mort » apparait en lettres capitales rouges avec une petite musique. « Ces jeux ont embrassé le concept d’échec. Quand tu meurs, ça participe à ta progression, tu apprends de tes erreurs pour ne pas les reproduire », confirme Benoît Renier, ancien journaliste du site spécialisé en jeux-vidéo, Gamekult.
Pour ce dernier, les origines du Die and Retry remontent aux bornes d’arcade des années 1980-1990. « L’échec n’était pas pensé pour te faire avancer, mais pour que tu remettes de l’argent dans la machine », rappelle-t-il. En 2010, un jeu va venir consacrer ce genre où la mort est légion : Demon’s Souls. Développé par From SoftWare, le jeu se déroule dans un monde médiéval sombre, où le joueur incarne un personnage progressant dans un environnement rempli de monstres impitoyables, pouvant le tuer en quelques secondes. En 2011, sa suite spirituelle, Dark Souls, connaît un immense succès. Cet épisode et ses suites ont été vendus à plus de 27 millions d’exemplaires. « On parle même aujourd’hui de souls-like, pour décrire les jeux qui ressemblent à Dark Souls », explique Benoît Renier.
Une expérience frustrante mais intense
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Sur sa chaîne youtube suivie par 125 000 personnes, Benoît Renier, alias « Ex Serv », dispense des conseils pour bien débuter aux jeux souls-like. Pour lui, les Die and Retry sont des jeux exigeants qui nécessitent plus d’engagement et de concentration que la moyenne. « Tu dois gérer tes déplacements, le positionnement de ton personnage. Ça fait appel à plus d’observation, de patience et de réflexion que des Mario ou des Zelda plus simples à aborder », explique-t-il. « C’est exigeant, c’est frustrant, mais t’es bien récompensé quand tu réussis », complète Sélim.
L’Agenais raconte s’y être repris à une quinzaine de reprises pour vaincre un boss [un ennemi très puissant, ndlr]. « Ça a duré pendant 5 heures ou 6 heures d’affilée », se souvient-il. « Quand j’ai réussi, j’ai bondi de mon canapé, j’ai jeté ma manette, j’étais super content ».
Un engouement partagé par Nicolas. « Cette frustration que t’as à mourir est compensée par la jouissance quand tu réussis enfin », complète-t-il. « Dans les autres jeux, tu as assez vite la satisfaction d’avoir fini alors que dans les die and retry, tu as de la satisfaction rien qu’en ayant avancé. Tu as plus de plaisir pendant le jeu », ajoute l’étudiant en informatique. Pour certains joueurs comme Élie, l’expérience de jeu est tellement intense qu’ils le recommencent en augmentant le niveau de difficulté. « J’ai refait Dark Souls 3 neuf fois », se rappelle-t-il. « Dans Nyoh [un jeu souls-like se déroulant dans une ambiance de Japon médiéval], ils ont ajouté 999 boss, ça m’a pris 4 ans pour faire ça », ajoute-t-il.
Parfois, ces mécaniques de jeu amènent à prendre du recul sur sa vie personnelle. « Assumer mon échec sur Dark Souls m’a fait relativiser mon échec quand j’ai redoublé deux fois à l’université », avoue Nicolas. « Quand tu prends l’habitude d’échouer, tu te rends compte que dans la vie y’a des échecs qui sont pas importants », complète Élie. « En jouant à ces jeux, tu vas progresser et tu peux retirer beaucoup de choses de cette expérience, prendre confiance en toi, voir comment tu réagis différemment face à certains problèmes », abonde Benoît Renier.
Un succès d’estime
Sur internet, des vidéos retraçant les exploits des joueurs sur le jeu sont légions. « Dark Souls a été fini de toutes les manières possibles. J’ai vu des gens y jouer avec les pieds, un volant de jeu de course, une guitare de Guitar Hero [une franchise jeu musical, ndlr]», commente Benoît Renier. En mars 2019, un joueur du nom de Otzdarva a réuni plus de 6 000 personnes sur sa chaîne Twitch où il diffuse sa partie en direct. Devant leurs yeux, il devient le premier joueur mondial à battre tous les boss de Dark Souls 2, sans prendre un seul coup, au bout de 9 heures acharnées.
Ce succès d’estime a fait des souls-like des incontournables du jeu-vidéo. « Le dernier jeu Star Wars ressemblait de loin à un Dark Souls. En y réfléchissant, c’est incroyable que ce pilier de la culture geek moderne s’en inspire », s’émerveille Benoît Renier. L’étape suivante pour les fans du genre ? « Le prochain jeu de From Software, Elden Ring, sort le mois prochain. Ce sera très certainement le jeu de l’année », prédit-il.