Échec scolaire : le jeu des lycées privés hors contrat

Décrochages, redoublements, difficultés à l’école ou attrait d’un cadre privilégié : plusieurs dizaines de milliers de lycéens passent chaque année le baccalauréat dans le privé, hors contrat.

 « J’étais loin d’être une bosseuse, j’y arrivais pas trop », souffle Louise, 18 ans, qui vient de finir son cursus dans le lycée Diagonale. Niché dans une petite rue du Ve arrondissement parisien, au bout de laquelle on aperçoit le Panthéon, l’établissement privé hors contrat accueille depuis 2008 des classes aux élèves peu nombreux, moyennant 4 700€ à 6 700€ par an. Louise y a passé tout son lycée, jusqu’à l’obtention de son baccalauréat en 2021. 

À l’image des écoles du réseau Diagonale, on trouve 287 lycées de ce type dans l’hexagone. Des hôtels particuliers parisiens aux locaux ultra-modernes implantés partout en France, il existe autant de décors que d’offres d’enseignements. « Ambiance familiale », « pédagogie individualisée »… Sur leurs sites internet, ces lycées rivalisent de formules séduisantes, montrant que l’échec scolaire dans le système traditionnel n’est pas une fatalité. Au point d’en faire un business ? 

Dans les années 1960, on les appelait les « boîtes à bac ». À une époque où seule la moitié des candidats décrochaient le baccalauréat, leur promesse était d’assurer l’obtention du précieux sésame. Mais en 2021, 93,8% des candidats ont été diplômés. Ces lycées doivent trouver de nouveaux credos pour continuer de fleurir : garantir l’acquisition du diplôme dans un cadre ultra-privilégié en s’appuyant sur une pédagogie « alternative », par exemple. « C’est une ambiance que tu ne peux pas connaître dans le public. Un peu comme une famille », raconte Louise, qui est entrée dans un lycée hors contrat pour suivre un cursus de sport-études. « J’avais un dossier pas ouf donc quand j’ai arrêté le sport-études, je suis quand même restée là-bas ».

« On fait croire aux parents qu’ici, la réussite des élèves sera assurée » 

« Ces lycées proposent un enseignement en tout petits groupes, censé faciliter les apprentissages pour des élèves. On fait croire aux parents, qu’ici, la réussite des élèves sera assurée », explique auprès de Louze Bruno Poucet, chercheur en sciences de l’éducation et spécialiste de l’enseignement privé. Pourtant, la promesse d’un suivi personnalisé et plus appuyé que dans les lycées publics ne porte pas toujours ses fruits. Tout au long de sa scolarité, les parents de Louise lui ont payé des professeurs particuliers en plus de son cursus à Diagonale. « Même dans le hors contrat, j’avais du mal avec les cours », raconte-t-elle. Elle oscillait entre 10 et 11 de moyenne en terminale. 

La réussite est une donnée primordiale pour comprendre le succès de ces écoles. « Le baccalauréat reste un rite de passage », explique le docteur Isabelle Sabbah-Lim, cheffe de service de pédopsychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne, (75) et l’obtenir est une nécessité. « L’échec scolaire est très particulier en France : tous les grands inventeurs se sont plantés avant de réussir, pourtant ici l’échec n’est pas valorisé mais vécu comme une incompétence », ajoute-t-elle. Face à la dramatisation de l’échec depuis le plus jeune âge, les enfants doivent tout faire pour éviter de s’y confronter. « On confond beaucoup les résultats et les capacités en France », poursuit la professionnelle de santé. Pour les élèves décrocheurs du public ou du privé sous contrat, l’une des seules solutions pour décrocher le diplôme tout en étant encadré est le hors contrat.

Pour Grégoire Dirrig, directeur académique de l’Institut du Marais- Charlemagne- Pollès, le hors contrat est avant tout « un complément de l’école public pour les élèves hors système ».  Créé en 1966, son institut est l’un des plus anciens hors contrat de France. Le lycée accueille 150 élèves, répartis en 9 classes. «  Que ce soit des élèves dyslexiques ou en situation de déscolarisation, on arrive à les récupérer grâce à de petits effectifs et un corps enseignant dédié », témoigne Grégoire Dirrig.

D’après le Code de l’éducation, le directeur d’établissement doit avoir une ancienneté d’exercice d’au moins cinq ans dans l’enseignement ou la direction scolaire. Quant aux professeurs, la législation les concernant demeure assez floue : si le préfet et le recteur sont chargés de vérifier leurs compétences et diplômes, le Code de l’éducation ne renvoie à aucune obligation à ce niveau. Pour ouvrir, une école hors contrat doit simplement présenter le « caractère d’un établissement scolaire ». Elle est ensuite contrôlée durant l’année de son ouverture.

« Traditionnellement, des profs de l’enseignement public font quelques heures dans ces établissements pour arrondir leurs fins de mois. Mais le reste des enseignants sont recrutés directement par le chef d’établissement, selon une convention collective qui précise les grilles de rémunération », détaille Bruno Poucet.

Le hors contrat, 0,5 % des lycéens français

Les lycées hors contrat naissent avec la loi Michel Debré de 1959, qui vient régir les rapports entre l’enseignement et l’État. « Ce sont des établissements qui décident alors de rester sous l’ancienne loi de 1886. Ils n’ont pas de relation avec l’État, et les enseignants dépendent du droit privé », explique Bruno Poucet. S’ils doivent répondre au socle de compétences attendu par le Ministère de l’Éducation nationale, ces établissements hors contrat ne sont pas tenus d’appliquer un programme spécifique. Ils sont libres de leur pédagogie et n’ont pas l’obligation de communiquer publiquement leurs résultats du bac. Tous lycées confondus, les établissements hors contrats affichaient 95,5% de réussite en 2020, d’après l’Éducation nationale. Avec des résultats très disparates entre établissements.

Mais que représentent ces lycées hors contrat ? Une aiguille dans la botte de l’Éducation nationale, c’est-à-dire 0,5% des lycéens en filière générale et technologique. Soit environ 26 000 élèves. À la rentrée 2021, ces établissements recensaient 7,4% d’élèves supplémentaires. « Mais la tendance globale est que le hors contrat est en perte de vitesse dans l’enseignement secondaire », souligne Bruno Poucet.

« On n’est pas des boîtes à fric »

Les camarades de Louise n’ont pas le profil de décrocheurs scolaires tels qu’ils sont représentés dans le film Les sous-doués, qui plante son décor dans l’une de ces « boîtes à bac », mais plutôt celui de milieux très privilégiés. « C’était pas trop mon délire. C’était une classe très très bourgeoise, et pourtant je ne suis vraiment pas à plaindre », souligne Louise, désormais en école de commerce. « Du genre, on dépense 2 000 euros en boîte le week-end, c’était tout le contraire de moi. Tu sens que ce n’est pas ton monde ». Pour cause, les frais de scolarité de ces établissements, qui ne reçoivent aucune subvention publique, sont très élevés. Il faut compter en moyenne 6 000 euros, mais les coûts peuvent aller jusqu’à 30 000 euros dans les établissements les plus « sélects ».  Pour réussir à tout prix, les parents qui peuvent se le permettre ne lésinent pas sur les moyens.

Le fonctionnement économique de ces lycées hors contrat reste encore opaque. Outre les frais de scolarité élevés, ces établissements sont financés par des dons privés. « C’est comme dans une entreprise. D’ailleurs, certains établissements font partie de groupes financiers, comme le groupe Hattemer à Paris. Alors, il faut qu’ils fassent du bénéfice, car leur budget peut être très fragile », constate le chercheur Bruno Poucet. Hattemer appartient en effet au groupe Globeducate, qui compte près d’une cinquantaine d’établissements privés à l’international.

Ces lycées privés hors contrat capitaliseraient-ils sur l’échec des élèves ? Une idée reçue, selon Grégoire Dirrig : « Un élève de terminale coûte 12 000 euros à l’État français. Nous, on fait payer 8 000 euros. Nous n’avons aucune aide, donc ce sont les parents qui payent. On est pas des boîtes à fric, on ne roule pas sur l’or ». D’après ce directeur, les lycées privés hors contrat pâtissent d’une mauvaise image du fait du manque d’encadrement dont ils faisaient l’objet dans les années 80, et qui permettait, par exemple, de recruter des professeurs non titulaires. Mais selon lui, la situation n’est plus la même: « Les gens pensent que le hors contrat, ce sont des gosses de riches. Ils se mettent le doigt dans l’œil. Les gosses de riches, eux, sont dans les meilleurs lycées publics ».

Jeanne Le Bihan et Blandine Lavignon

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