À Saint-Martin-sur-le-Pré, dix-sept salariés se sont improvisés repreneurs de leur entreprise de tôlerie après sa liquidation. Associés au sein d’une société coopérative de production, les salariés désormais actionnaires ont réussi à relancer leur usine. Une organisation plus horizontale, mais non sans contraintes.
12 000 mètres carrés et une vingtaine de salariés. À l’entrée, plus d’agents d’accueil mais une sonnette. Après quelques secondes, une salariée apparaît. « Les bureaux sont un peu loin de l’entrée ! », sourit-elle. Pour arriver au coeur de l’entreprise, il faut d’abord franchir un long couloir. Puis, protégé par une paroi vitrée, un immense atelier s’offre à nos yeux. « Ici, c’est notre nouveau laser, s’enthousiasme Sébastien Albaut, l’actuel gérant de Marne Metal Concept, en désignant une imposante machine bleue. On peut couper des plaques d’acier et d’aluminium plus épaisses et plus vite avec ! » Plieuse, panneauteuse, cabine de peinture, le bruit des machines témoigne de l’activité.
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Pourtant, l’histoire aurait pu s’achever plus tôt que prévu. Il y a trois ans, l’entreprise de tôlerie près de Châlons-en-Champagne était vouée à la liquidation, et ses 87 salariés au licenciement. Mais une poignée d’employés fait le pari de la reprendre. À dix-sept, ils montent un dossier de reprise en s’associant sous forme de société coopérative ouvrière de production (SCOP). Le moyen d’éviter la disparition de leur entreprise et de leur travail. « La fierté, on la ressent d’autant plus que beaucoup n’y croyaient pas forcément », raconte Noémie. La salariée au bureau d’étude est arrivée dans l’entreprise en 2007, avec les premières machines de tôleries. « Alors c’est un peu mon bébé », plaisante-t-elle.
Une procédure de redressement et de liquidation
À l’origine, l’usine est une fabrique de radiateurs créée en 1972 par le groupe Suisse Zehnder. Pendant près de quarante ans, l’activité se maintient, au gré du lancement de nouveaux produits. « On a créé le sèche-serviette ici ! », se souvient Sébastien Albaut, l’actuel gérant de l’entreprise. Un motif de fierté pour les salariés. Mais en 2015, le groupe suisse fait le choix de ne garder qu’une usine par pays, et cède pour un euro symbolique le site de Saint-Martin-sur-le-Pré à un fonds de retournement.
Et les choses ne se passent pas comme prévu. « On se donnait pour faire mieux que la concurrence, et par pur choix, il a été décidé de fermer des lignes de production. Puis on nous a dit qu’on ne faisait plus assez d’argent », déplore Sébastien Albaut. S’arrêtant devant les machines de fabrication de chauffages toujours là, mais désormais à l’arrêt, il se replonge quelques années auparavant : « Ça me fait mal au cœur, c’est moi qui avait mis en place certaines lignes ! » Après deux ans et demi sous la direction de ce fond de retournement, la trésorerie chute. Un placement sous mandat est alors demandé.
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S’ensuivent une procédure de redressement et de liquidation. Et les 87 salariés sont licenciés. « C’était l’enfer », raconte Noémie. Au milieu de la tourmente, le mandataire leur souffle l’idée de se constituer en SCOP pour reprendre l’entreprise. Une proposition bien accueillie par une partie des salariés. « J’ai été d’accord dès le départ, il fallait tenter, se souvient William. Qu’est ce qu’on avait à perdre ? Mais ça a été compliqué, on a eu de sacrés problèmes. »
Une période d’incertitude
Car passé l’enthousiasme du projet, il faut le faire aboutir. Et cela ne s’est pas fait sans décision compliquée. « Nous avons dû faire des choix sur tous ceux qui voulaient y entrer. Évidemment, ils étaient plus de 17 à l’origine, explique Sébastien Albaut. Nous avons gardé des compétences très spécifiques et des personnes très polyvalentes. »
S’ouvre alors pour eux une période d’incertitude. Un premier dossier est monté, mais ne s’improvise pas repreneur qui veut ! S’ils sont aidés par l’Union régionale des SCOP, les 17 employés ne connaissent pour autant pas toutes les subtilités de l’exercice. « Je pensais qu’en arrivant au tribunal on pourrait discuter du projet et répondre aux questions, mais ça ne passe pas comme cela. Lorsque je suis venu au tribunal, les décisions étaient déjà prises par les juges. Donc notre première offre a été refusée », raconte l’actuel gérant.
Sébastien Albaut se souvient que de nombreux d’interlocuteurs ne manquaient pas de lui faire ressentir que la démarche de ces salariés détonnait. « Partout où on est allés à l’époque, tout le monde nous regardait avec des yeux bizarres, déplore Sébastien Albaut. On nous disait ‘ah vous voulez créer 17 emplois ? Bof, ce ne sont que 17 emplois’, à chaque fois ! » Les salariés restent motivés, et montent un second dossier de reprise, accompagnés cette fois d’un avocat. La deuxième tentative sera la bonne, leur offre est acceptée par le tribunal.
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« Le projet m’a aidé à relever la tête »
Dans la foulée, chaque salarié investit en moyenne 25 000 euros, et devient ainsi actionnaire de l’entreprise renommée Marne Métal Concept. « Nous nous sommes arrangés pour que chacun apporte le même pourcentage de sa prime de licenciement, détaille Sébastien Albaut. Comme ça, cela représentait le même effort pour tout le monde. »
Un effort consenti, pour ce projet qui leur a permis de prendre un nouveau départ. « Cela m’a aidé à relever la tête et à voir plus loin que le licenciement » explique Fabrice, en charge de la logistique. D’autant que tous gardent cette impression d’avoir frôlé le pire. Parmi leurs anciens collègues, certains sont encore au chômage. « Ils appellent régulièrement, mais on ne peut pas les prendre », relate le gérant. « D’autres ont sombré dans l’alcool, ont perdu leur maison. Cela a détruit leur famille…», ajoute William, l’un des salariés.
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« Ça soude et ça dessoude »
Ce changement d’échelle et d’organisation, avec des salariés actionnaires, ne résout cependant pas tous les problèmes. « Un projet comme celui-là, ça soude et ça dessoude ! », sourit Fabrice. Car même quand on devient collectivement son propre patron, il faut se donner des règles. « La difficulté avec les gens, c’est qu’ils croient parfois que parce que c’est une SCOP, chacun fait ce qu’il veut, explique Sébastien Albaut. Il faut leur faire accepter qu’il y a besoin de chefs pour trancher. »
À la préparation des pièces pour la peinture, un air de Katy Perry sur Champagne FM s’accorde au rythme de la chaîne de production. « Avant, la musique était interdite, plus maintenant », explique le gérant. Le pointage, d’abord abandonné, a par contre fait son retour. « Il y en a qui vont prendre dix minutes par-ci par-là, les autres vont râler, il faut donc calmer les esprits.»
Les choix sont discutés collectivement. « On se réunit souvent entre le café et les pauses. Quand on a des décisions globales, j’en parle à tout le monde et s’il n’y a pas d’accord, on vote », détaille le gérant.
« Maintenant, les gens sont acteurs »
Ce pouvoir de décision rime avec responsabilisation. Chacun est plus impliqué, d’autant que si les salaires ont été maintenus à l’identique, il a fallu faire une croix sur le treizième mois qui dépend désormais du bénéfice de l’entreprise. « Maintenant, les gens sont acteurs, explique Sébastien Albaut. Quand ils voient que quelque chose devrait être changé, ils peuvent le faire ! » Un constat partagé à tous les postes, comme le note Fabrice : « Je suis plus autonome et maître de mes décisions maintenant qu’avant ».
Une responsabilité qui pèse comme un poids sur les épaules des salariés, à commencer par celles du gérant. Lui qui maîtrisait l’aspect technique bien plus que la gestion d’une entreprise concède : « Des nuits blanches à réfléchir aux problématiques de la boîte, j’en ai passé, et j’en passe encore ». Un investissement personnel lourd que sa famille n’a pas tout de suite compris. « Ils se sont demandés à quoi ça servait et pourquoi je déployais tant d’énergie à ce projet, plutôt que de chercher un poste où c’est beaucoup plus simple », témoigne-t-il.
Noémie a aussi augmenté son temps de travail. La salariée du bureau d’études n’hésite pas à aller donner un coup de main dans l’atelier en cas de besoin. « Il n’y a personne au-dessus qui va renflouer les comptes, explique t-elle, si on se plante, tout le monde se plante ».
Léo Seux et Théo Sauvignet