Depuis septembre dernier, les grèves des éboueurs à Marseille se multiplient, mais les négociations avec les pouvoirs publics semblent au point mort. Les habitants révoltés se mobilisent pour contraindre les élus à l’action. Au-delà de la saleté, ils craignent un nouveau désastre écologique dans leur ville.
Dans les commentaires de ce groupe Facebook au nom humoristique, la colère est assumée. S’estimant lanceurs d’alerte, les 21 000 membres du collectif citoyen Marseille, Poubelle la vie agissent pour la propreté de leur ville en publiant des photos. A chaque fois, la même composition : des rues ensoleillées jonchées de tas d’ordures, souvent à hauteur d’homme, et dans les calanques, des emballages de fast food échoués sur les falaises.
« Chaque jour depuis 4 ans et demi, on publie la photo et l’adresse d’endroits où c’est sale. Ça force les services de propreté à intervenir, explique Sarah Bourgeois, l’agente immobilière qui a fondé Poubelle la vie. Et quand c’est nettoyé, on reposte ». Un travail de Sisyphe décuplé depuis le début de cette nouvelle grève.
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Pour la troisième fois en quatre mois, les éboueurs sont en grève. En conflit avec la Métropole d’Aix-Marseille Provence sur la mise en œuvre d’accords sur le temps de travail signés lors de la précédente grève en décembre, le syndicat majoritaire Force Ouvrière a appelé à la mobilisation. La Métropole réquisitionne alors les éboueurs pour assurer la collecte des déchets – une atteinte grave au droit de grève selon ces derniers. Une bataille juridique s’ensuit, qui ne résout rien, et toujours pas d’accord en vue.
Au dixième jour de grève, les conséquences sont déjà bien visibles. Dans certaines rues de la cité phocéenne, on ne peut plus circuler tant les tas d’ordures envahissent l’espace public. Comme rue du Baignoir, dans le quartier de Belsunce, à quelques rues seulement du Mucem, l’emblématique musée marseillais. « Même les piétons ne peuvent plus passer », alerte Adrien Piquera, membre de l’association écologiste locale 1 déchet par jour.
Un risque d’écocide
Cette situation délétère met en danger la santé publique, mais engendre aussi un risque d’écocide, selon les militants écologistes locaux. « La première victime des grèves, c’est la mer Méditerranée », s’énerve Adrien Piquera.
Selon les estimations de la préfecture, 1 000 tonnes de déchets supplémentaires s’amoncelleraient chaque jour dans les rues de Marseille. Il suffirait d’un « coup de mistral » pour que ces déchets se retrouvent dans la mer. Le scénario catastrophe s’était déjà produit en octobre dernier. Des pluies torrentielles avaient emporté vers la mer les déchets accumulés sur la voie publique du fait d’une grève des éboueurs, jonchant les plages et se déposant dans les fonds marins.
Cette fois-ci, ça pourrait être encore pire. « Au prochain épisode pluvial, ce ne sont pas 6 tonnes de déchets que nous retrouverons sur le littoral marseillais mais 12, voire plus », explique un collectif local sur son site internet.
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Les habitants s’organisent
Face à ce qu’ils estiment être une partie de ping-pong entre la Métropole, chargée de la gestion des déchets, et les syndicats, les habitants sont convaincus de ne pouvoir compter que sur eux-mêmes.
Depuis cinq ans, les initiatives citoyennes fleurissent. L’association 1 déchet par jour a pour slogan : « On est tous capables de ramasser un déchet par jour », et le prouve en organisant depuis 5 ans des ramassages citoyens. Leur évènement phare, Love ta Bonne Mère, une collecte de déchets autour de la basilique Notre-Dame-de-la-Garde qui domine la ville, réunit jusqu’à 800 personnes tous les ans.
L’association Clean my calanques, surtout présente sur le littoral, était en première ligne en octobre 2021, pour nettoyer les plages polluées en lien avec une précédente grève des éboueurs. Le collectif Mer veille fait de même, mais à la nage et en apnée, pour nettoyer les déchets qui se sont déposés jusqu’au fond de la mer.
Face aux manquements présumés des pouvoirs publics, le collectif Poubelle la vie dit assumer un rôle de communication. « On est un relais avec la population », estime Sarah Bourgeois. « On publie des cartes avec les emplacements des bennes où on peut jeter ses ordures, on explique aussi les règles », précise-t-elle. A Marseille, les habitants ne disposent que très rarement de poubelles à l’intérieur des immeubles. Ils doivent déposer leurs déchets dans des bennes à l’extérieur, et seulement à partir de 19h. Mais beaucoup l’ignorent et même en dehors des grèves, les déchets s’accumulent.
Sur le plan politique, « on déjà tout tenté : livre noir, pétition, livre blanc avec des propositions remis aux candidats aux élections municipales, raconte Sarah Bourgeois du collectif Poubelle la vie. Mais ça n’intéressait personne, évidemment ». Alors, symboliquement, elle ira avec d’autres militants déposer ses ordures devant le siège de Force ouvrière samedi.
Des Assises de la propreté pour Marseille
Toutes les associations le disent : ce n’est pas à eux de faire ça. « On a la sensation de faire le travail des pouvoirs publics ! Les militants qui nettoient les espaces naturels font un super job mais est-ce que c’est vraiment à nous de faire ça ? On paye quand même la taxe d’ordures ménagères ! », s’énerve Sarah Bourgeois.
Une quinzaine de collectifs se sont rassemblés pour adresser une lettre ouverte à la Métropole vendredi. En ligne, près de 5000 personnes ont signé pour soutenir ce texte, qui dénonce une gestion des déchets inefficace de longue date, et exige la tenue d’Assises de la propreté à Marseille.
La demande est ambitieuse : mettre pouvoirs publics, éboueurs de la Métropole, collecteurs de déchets privés, riverains et associations autour de la table, pour décider ensemble d’une politique de gestion des déchets enfin adaptée à la ville. « Ce serait enfin un moment de transparence à Marseille », commente Adrien Piquera, le militant de 1 déchet par jour. Parmi les mesures à discuter, l’interdiction des plastiques à usage unique et des mégots aux abords du littoral.
Pour le moment sans réponse des pouvoirs publics, ce collectif d’associations passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. En partenariat avec des journalistes locaux et un sociologue, les militants vont recueillir les doléances des habitants pour un changement à Marseille. Des vœux qui devraient être remis à la présidente de la Métropole, Martine Vassal, et même à Emmanuel Macron, en déplacement à Marseille le 7 février prochain.
Diane Karcher-Mourgues